Texte 2
David sentait le pouvoir. Il expérimentait la haine, la domination des forces ténébreuses qui le grisaient. Une sensation d’exaltation intense l’avait submergé. Il lui semblait qu’il pouvait broyer le monde entre ses mains. Son géniteur prit la parole.
« Maintenant que tu as choisi ton camp, mon fils, tu dois accomplir ta destinée. Ouvrir les huit Portes de Jérusalem et détruire Aron, l’Arche d’Alliance qui se trouve dans le Temple de Salomon. Le cadenas qui scelle la neuvième Porte et nous interdit l’accès au monde des humains. Ainsi, la lumière divine quittera la Terre et l’œuvre du Vieux Barbu sera à notre mercie.
– Rien ne me ferait plus plaisir, père. Dis-moi ce que je dois faire, donne-moi le moyen d’y parvenir. s’écria le Lycan.
– Nos alliés se regroupent sur Stonelink. De grands Démons se sont rangés de notre coté. Le moment venu, ils combattront pour toi. Les Séniles ont dépêché les chœurs pour protéger les Portes. Nous avons commencé de rassembler ton armée.
– Qui sont nos alliés, père ?
– Bélial, Marchosias, Sydonaï, Sytry et Murmur sont d’ors et déjà dans notre camp. Il nous reste à convaincre Paymon, Oriax et Astaroth. Ceux-là attendaient de voir quel choix tu allais faire. »
Avant que David ait pu ajouter un mot, un terrible mur de son traversa la salle. Heureusement, le jeune homme n’était pas sous sa forme humaine. Ses tympans n’auraient pas survécu à la déflagration. Avant de voir quoi que ce soit, ils sentirent une présence, maléfique, stuporeuse et lancinante. Puis une voix rauque, d’une ineffable sensualité, se fit entendre.
« Ils ont assassiné mon sang. Ils lui ont transpercé le crâne avec leur sale lance de pureté. Ils doivent payer. Je veux qu’ils souffrent, je veux me nourrir de leurs répugnantes entrailles bénites. Je réclame VENGEANCE ! »
Le cri retentit dans tous les Enfers. Samaël lui-même en fut ébranlé sur son trône. Imzzelgom posa son regard sur la magnifique et terrifiante démone. Elle semblait grandir démesurément sous l’influence de son juste courroux.
« Lilith ! Calme-toi. Nous regrettons tous la perte de Milena. C’était une bonne servante, la meilleure…
– Ma Favorite !
– Je sais.
– Qui l’a tuée ? »
La question de David les avait cloués sur place. Ses yeux étaient fous, la rage semblait ramper hors de son corps. Lilith se tourna vers lui.
« Gabriel, ce fils de chien ! hurla la démone. Je veux le tuer. »
Elle fit face à Imzzelgom.
« Laissez-moi accompagner le Bâtard.
– Prenez garde. Je suis peut-être un bâtard, mais je n’en suis pas moins dangereux, même pour vous ! Et à quoi pourriez-vous bien me servir, femelle ? s’indigna David qui, secoué par l’annonce de la mort de son guide, oubliait toute prudence. »
Lilith posa des yeux de braises sur ce dernier. Il n’avait aucune idée de la posture défavorable dans laquelle il venait de se placer.
« Comment oses-tu, hybride, t’adresser à moi en ces termes ? Je suis le Vent de minuit, je suis la Chaire lubrique, Première femme d’Adam, je suis la Dévoreuse d’innocents, je suis l’Amante de Samaël. Je suis Lilith, mère de quatre cent quatre vingt légions ! Est-ce suffisant pour toi ? Je vais t’accompagner et me battre à tes côtés. Je veux venger mon sang et je me fiche de ces foutues Portes et de ton pauvre destin. »
Le lycan était fasciné par la mère des succubes. Elle avait la peau sombre et une chevelure de feu. Un serpent était enroulé autour de son torse ; il était son vêtement. Hormis l’animal, elle ne portait qu’une ceinture d’où tombaient des guirlandes de pierres précieuses.
Imzzelgom reprit la parole, interrompant les pensées de son fils.
« Bien. Lilith sera donc ton second.
– Mais elle est la compagne de Samaël, elle le dit elle-même… »
Imzzelgom et la démone ne purent retenir un rire franc.
« Mon cher David, ce n’est pas parce que Lilith est la compagne officielle de ce dégénéré qu’elle lui appartient. Personne ne lui donne d’ordre, nul ne la maîtrise, et elle n’est fidèle qu’à elle-même ! »
David jeta un regard à la femme originelle et fut encore une fois fasciné par le spectacle quelle offrait. Elle arborait un sourire en coin, et dans le même temps une moue purpurine .Elle le regardait droit dans les yeux, un bras négligeament posé contre une des colonnes du hall, immobilisée dans un déhanché lascif, tandis que son serpent ondulait doucement sur ses courbes pleines et douces. Encore une fois, Imzzelgom mit fin aux divagations du lycan.
« Partez maintenant pour Stonelink, les généraux vous y attendent. Samaël ne va sûrement pas tarder à arriver. Je préfèrerais qu’il ne tombe pas sur toi, mon fils, il serait capable d’essayer de te tuer lui-même… surtout avec la façon que tu as de dévorer sa concubine des yeux…
– Je croyais qu’elle était libre…
– Ça n’empêche pas Samaël d’être extrêmement jaloux !
– Cessez de parler de moi comme si je n’étais pas la. Partons maintenant, Bâtard. Si Samaël arrive, nous aurons des difficultés pour faire ce qui doit être fait. Il nous faut encore mettre au point le plan d’attaque, et Imzzelgom doit convaincre Oriax, Paymon et Astaroth de nous rejoindre. Assez perdu de temps, enfant !
– Je ne suis pas un enfant.
– A côté de moi tu l’es. »
Lilith se lança dans une danse incantatoire d’une obscure beauté. Ce qui était inutile : elle aurait pu ouvrir le passage d’un battement de cils. Elle enlaça David et ils disparurent dans un flamboiement infernal.
Tout allait vraiment trop vite pour David, une petite voix au fond de son crâne ne cessait de crier « stop ! ». Pourtant, il ne pouvait s’arrêter maintenant. Il avait choisi son camp, accepté sa nature. Il était puissant, il était libre et rien ne pouvait égaler la satisfaction qu’il ressentait. Il était la perte du monde. Gloire et honneurs lui seraient rendus, indéfiniment. Il en était là de ses réflexions lorsque le monde se matérialisa devant lui. Stonelink. La terre où Milena avait trouvé la mort. Gabriel paierait cher cette attaque. S’il ne tombait pas entre ses mains, Lilith, elle, ne le laisserait pas s’en sortir indemne. Une odeur de soufre les assaillit soudain. Ils virent alors un impressionnant chevalier chevauchant un non moins impressionnant dragon.
« Sydonaï ! Mon ami ! Où est son corps ? Comment avez-vous pu le laisser faire ? s’écria la Démone.
– Lilith, je t’en prie ! Il ne s’est pas annoncé, il est arrivé droit dans ses appartements, il l’a tuée et est reparti aussitôt. Lorsque l’on a réalisé ce qui s’était passé, il avait déjà disparu. Nous l’avons immolée dans les règles.
– Je tuerai ce chien de mes mains, je le jure, par l’Enfer, il ne m’échappera pas. »
Le chevalier se retourna vers David.
« Alors, c’est lui, l’Elu ? »
Le démon toisait David de la tête aux pieds. Pour ce dernier, c’en fut trop. Depuis son entrée aux Enfers, on le prenait pour un moins que rien. Il allait détruire les portes, il était Armagedon, on devait le respecter. La rage avait envahi le lycan. Il se jeta sur Sydonaï et lui arracha la gorge. Il fut aussitôt recouvert d’un sang noir et épais comme le goudron. Il sentit ensuite une douleur intense dans le flanc. Le démon ; bien que perdant des flots de son sang boueux, avait réussi à planter sa lance dans le corps de David. Ils sombrèrent tous deux dans l’inconscience.
Lorsqu’il reprit connaissance, David était entouré par de biens étranges gardes-malades : un impressionnant chevalier, un léopard d’une taille considérable, une louve imposante, un genre de barde et la belle Lilith.
« Que s’est-il passé ?
– Tu as attaqué un démon majeur, idiot ! répondit la reine des succubes.
– Il est mort ?
– Tu rêves ! Il en faut plus que ça pour venir à bout d’un être de son acabit. »
Ils se mirent tous à rire de bon cœur. Y compris le léopard et la louve, qui se transformèrent derechef, l’un en séduisant jeune homme, et l’autre en soldat des croisades. Ce dernier prit la parole.
« Mais tu l’as bien amoché, il ne s’attendait pas à ton attaque. C’était vicieux, irréfléchi et diablement efficace !
– Cesse de jurer Marchosias ! » le rabroua Lilith.
Le barde se présenta comme étant Murmur, puis entreprit d’introduire ses compagnons.
Le jeune homme se nommait Sytry et le chevalier était Bélial. La démone reprit la parole,
« Repose-toi encore un peu, quand tu te réveilleras, tu seras en état de travailler, ils ont un plan pour s’emparer des Portes. Tu n’as plus qu’à valider leur projet, et quand les trois derniers généraux seront arrivés, nous pourrons passer à l’attaque. »
Sur ces mots, les démons quittèrent la pièce et David sombra dans un sommeil réparateur.
Les dix démons se trouvaient enfin tous rassemblés dans la salle du trône du château de Stonelink.
David et Lilith, Astaroth et Sydonaï, en pleine forme, chevauchant leur dragon. Bélial, qui avait laissé son char de feu à la porte, Marchosias sous sa forme de loup, et Sytry le léopard. Oriax le lion, Murmur tenant son griffon par la bride et enfin, le terrible Paymon dont le visage efféminé avait stupéfié David. C’est Paymon qui prit la parole ; en effet, il était à la tête de deux cents légions démoniaques. Après Lilith, c’est lui qui était le plus puissant.
« Le plan est simple. Nous sommes tous d’accord ? »
Il jeta un œil vers David, qui acquiesça d’un discret hochement de tête.
« Nous attaquons les huit portes simultanément. Je me charge de la Porte de la Miséricorde, Murmur se charge de la Porte de Jaffa. Marchosias, la Porte Neuve. Toi, Sydonaï, tu prends la Porte de Damas et Sytry, celle d’Hérode. La Porte des Détritus est pour Astaroth, la Porte de Sion pour Lilith et enfin, Oriax et David prennent la Porte Est, celle des Lions. C’est la plus proche du Saint des Saints, fais confiance à ton instinct, David, pour trouver l’Arche.
– Comment ferons-nous pour la détruire ? » demanda ce dernier.
Bélial haussa les épaules de façon désinvolte.
« Nous verrons sur place. A nous tous, nous avons une puissance que personne n’a jamais eue.
– Si nous survivons tous au combat contre les chœurs ! gronda Paymon. Mais soit, nous n’avons nul autre choix que l’attaque en masse.
– Dans combien de temps les légions auront-elles rejoint Stonelink ? demanda David.
– Il ne manque que trente légions de Paymon et soixante douze de celles de Lilith qui devraient arriver demain, et les légions d’Astaroth sont prévues pour cette nuit, répondit Bélial.
– Bien. Nous attaquerons donc dans deux jours. Inutile de perdre du temps. Je vous laisse, j’ai besoin de me retrouver un peu seul. »
David quitta la salle précipitamment. Il avait besoin de faire le point, d’oublier toute cette histoire. Il était à la fois impatient et terrifié par ce qu’il s’apprêtait à provoquer.
Les démons se regardaient en chiens de faïence englués dans un silence assourdissant. Lilith le rompit.
« Il ne se doute de rien. Il faudra au moins trois d’entre nous pour réussir.
– N’aie crainte, répondit Paymon, nous répandrons son sang sur Aron, et la lumière quittera pour toujours le monde des humains…
Pendant ce temps, à Jérusalem, on comptait par dizaines les personnes clamant partout qu’elles avaient vu un Ange. Toutes confessions confondues, ils racontaient la même histoire : « Il faut quitter la ville, l’Ange a parlé, Armagedon approche, la Fin des Temps… »