C'était comme une grande maison. Comme des murs de nuit brulants et si durs que rien n'aurait pu les meurtrir. Il y avait nous et nos visages d'enfant, nos corps légers qui revenaient ensemble le soir à la maison. Il ne faisait jamais froid et rien ne faisait peur.
Ils étaient deux ou trois et ils nous regardaient de leur trône de pierre, ils nous regardaient avec amour et nous aussi on les aimait. Ils viellaient sur nous et leurs visages ressemblaient aux rochers sur lesquelles la mer s'allonge. C'est la mer qui les avait ridé je crois , leurs joues de vieillard. Leurs voix étaient belles et graves, toutes tailladées d'étoiles et leur gorges brulantes d'avoir mille fois bu la tasse étaient recouvertes de poèmes. Ils avaient le visage des astres et rendait la nuit chaude comme une couverture de braise. Tout était beau et si déchirant que tout le temps nos peaux s'ouvraient mais nos plaies ne mouraient pas. Toujours nos corps brillaient de larmes et de sang. Nos rires jaillissaient comme des couteaux et on se poignardait comme ça, en hurlant la joie, la joie d’être ensemble et d'entendre nos souffles enfler à l'unisson, comme les violons des anges.
Il n'y avait pas autant de couleurs qu'ici, seulement le rouge et l'or, et des ténèbres si noirs qu'on les entendait se battre, se battre sans relâche pour que leurs éclats s'aiment, s'embrassent et se figent mais tout s'écroulait à chaque instant parce qu'ils n'arrivaient pas à s'entendre et leur cris acharnés ressemblaient à des chants, on entendait l'hiver, l'été et toutes les saisons et toutes les étoiles qui grondaient en même temps. On aurait dit un orchestre, un orchestre sans chef d'orchestre où tout tournoyait, mouvait à l'infini.
C'est comme ça qu'on l'aimait la vie. Nue. Brulante. Sans rien d'autre sur le corps que ses étoiles gravées. Lorsqu'elle était comme ça, toute offerte à nos yeux, rien n'aurait pu nous faire trembler et même lorsqu'elle disparaissait de nos mains, on y croyait toujours qu'elle allait revenir.