L'épisode final

Oyez Oyez !
7 Participants pour ce premier épisode d'In Fine - qui, je vous le rappelle, est le dernier !

Les 7 textes sont postés de façon aléatoire de manière à conserver l'anonymat.
J'invite les participants à ne pas donner trop d'indices sur son texte, toujours de façon à conserver l'anonymat !

Les participants peuvent voter pour le texte de leur choix, le leur s'ils le veulent.

N'hésitez pas à commenter les textes sur le fil convenu.

Un grand merci aux participants : en espérant que l"élan soit maintenu pour la suite...


Sondage : durée de 2 semaines environ (fin le 26 septembre)

Siel

Texte 1 : L’Oméga d’Alpha

Ca ne pouvait pas finir ainsi. Impossible. Ils n’avaient pas fait tout ce chemin pour en arriver là. Pour en arriver à ça. Voilà ce que Gammia se disait en errant dans les ruines mourantes d’Oméga. Elle avançait lentement, titubant presque sous le poids de la désolation qu’elle voyait, entre les bâtiments en flammes, les décombres fumants et les cadavres éteints, vers son lieu de rendez-vous avec Alpha. Elle s’en voulait, désormais qu’elle voyait les morts et les destructions, Alpha l’avait prévenu, pourtant. Il savait lui le prix de sa vengeance contre Omicron et son sombre domaine d’Oméga. Mais aurait-elle vraiment pu imaginer pareille horreur ? Pire que ce qu’elle-même avait vécu, pire que tout se dit-elle.
A mesure qu’elle progressait, il subsistait de moins en moins de constructions survivantes, ou même de corps. Et c’était ces corps le plus horrible pour son âme déjà tourmentée, ces reliefs de vies anéanties, comme des vestiges de civilisations déchues et décédées : Gammia les croisa d’abord agonisants, puis désarticulés, ensuite démembrés et broyés, puis enfin, lorsqu’elle atteignit la place où Alpha l’attendait, elle ne vit plus que de sombres traces, vaguement noirâtres, sur le sol.
Elle laissa son regard désespéré s’abîmer sur cet infâme paysage, il n’y avait plus que deux autres âmes vives à portée de vue et d’ouïe, dans ce silence funeste : Alpha, toujours la mine aussi certaine, et agenouillé à ses pieds, Omicron qui n’était plus qu’une ombre décharnée, vaincue et abattu. Il ne restait donc plus que ça du grand, du puissant et terrifiant Omicron, au moment d’en finir ? Du cauchemar et fléau de ce monde, ne survivait qu’un sombre filament de rêve brisé, de gloire révolue ? Son vainqueur, droit et fier, se tourna vers Gammia :
— Voilà.
Il marqua une courte pause et continua :
— Je t’attendais pour en finir avec ça.
Il désigna Omicron et marmonna quelques paroles, quelques injonctions. Alors les flammes naquirent autours du prince déchu et le noyèrent progressivement dans une pyramide ardente.
— Le feu de la rédemption, commenta Alpha. Je dois le rejoindre, moi aussi, tu sais, je t’ai expliqué. Ainsi tout finira. Et comme promis, tout débutera pour toi.
Elle, elle ne pouvait quitter le brasier qui s’y reflétait de son regard englouti silencieusement de larmes. Omicron lui avait pris ses biens et sa famille, Alpha lui avait donné l’espoir, et plus, puis aujourd’hui elle perdait tout, même lui. A mesure qu’elle se remémorait les événements, le feu grandissait, pareil au désespoir de Gammia, il submergea lentement ce qui restait du passé, du rêve d’un meilleur qu’incarnait pour beaucoup Omicron, malgré sa cruauté. Flambée comme absence d’espoir s’écoulèrent sur tout cela, et furent seule à rester. Rien d’autre n’éclairait la ville ou ne faisait ombrage à l’âme dévastée et esseulée de Gammia. Les flammes rédemptrices luisaient dans ses yeux : Alpha s'y engouffra.

Texte 2 : Le sacrifice du Bateleur


Ses guêtres élimées flottaient dévoilant ses mollets nus aux muscles saillants. Son bâton frappait le sol rocailleux comme un diapason imprimant le rythme à sa foulée : la démarche décidée de ceux qui n’ont plus d’autre choix que d’avancer envers et contre tout. La main crispée sur la garde de son épée révélait la vigilance du Bateleur mais son visage hâve, ses yeux creux et ses cheveux hirsutes emmêlés de brindilles trahissaient la fatigue et la faim. Il se raccrochait à une phrase, répétée inlassablement pour la garder en mémoire. Il la marmonnait encore :
« Rejoins Celorm, ou meurs avec nous », avait dit l’Hermite. Et encore :
̶ Rejoins Celorm.
Il remarqua soudain un parchemin dépassant de sa ceinture et il l’ouvrit comme pour la première fois. L’écriture devait être sienne, mais inégale, raturée, et parfois effacées :
« Je suis toi : Alpha…reçu la carte du Bateleur … pour compenser la perte de mémoire qui … la prochaine tempête de l’oubli. Tu te rends à Celorm pour… »
Au fil des lignes des bribes de mémoire lui revinrent douloureuses : le continent entier sombrait dans une guerre civile des plus chaotiques. Les hommes et autres races ravalés à l’état de bête par un effacement progressif, mais total de leurs souvenirs : les tempêtes d’oublis. La résistance des porteurs de cartes avait été dérisoire contre ce mal invisible. Une suite d’événements de rencontres dont il ne gardait au mieux que des réminiscences le conduisait aujourd’hui à Celorm, ville fantôme.
Par précaution il avait évité les portes principales de la ville qui devait grouiller de Perdus*. Ayant escaladé les remparts il empruntait maintenant une tortille abandonnée. Sa lettre indiquait comme objet de sa quête le feu de Celorm dans le quartier des mages. Manifestement, il devait y effectuer une sorte de rite, mais voila le passage était des plus confus :
« …porteur du bâtonnet devra…la purification des flammes sacrées…pourra alors renaitre tel le phénix. Mais en toutes circonstances jamais …car ce serait l’Omega de nos civilisations. »
L’esprit encombré de toutes ces pensées Alpha progressait maintenant au milieu d’une végétation luxuriante et de bassins richement décorés qu’il ne reconnut pas comme étant : les jardins aux reflets. Tout juste avait-il conscience d’entrer dans la partie de la ville réservée aux mages. Il escalada un promontoire d’où il pourrait avoir une vu panoramique des lieux dans le but de découvrir un édifice digne de receler le feu sacré dont parlait la lettre. Ainsi perché il découvrit une tour surplombant le reste des édifices dont l’unicité et la magnificence indiquaient une assignation capitale. Toutefois, il ne prit garde à son reflet dans les eaux du bassin sous lui, renvoyant une image étonnamment discordante de sa personne en habits d’arlequin.
Il ne lui fallut pas longtemps pour parcourir les rues désertes et rejoindre la tour et fut même étonné de ne pas avoir à subir l’attaque de Perdus. Toutefois, il ressentit une gêne étrange à pénétrer ce site mystérieux, gravissant les étages que même les pillages n’avaient pu dépouiller de sa splendeur. Il parvint essoufflé au sommet, la pièce était totalement vide, mais en son milieu le sol creusé servait d’écrin à des flammes surnaturelles.
Hypnotisé par le spectacle il s’approcha de ce feu carmin qui ne dégageait aucune chaleur. Il était au terme de sa quête, mais que devait-il faire dorénavant ? Il n’avait pas de bâtonnet, mais détenait la carte du Bateleur, à lui revenait donc la tache de … ? De quoi ? « Dans les flammes » « tel le phœnix ». Plus il réfléchissait et plus la certitude s’encrait en lui que l’immolation serait la clef. Il n’avait que trop hâte de quitter ce monde apocalyptique et de renaitre pour le bien de tous. Il fit une enjambé et la carte du Mat tomba de ses poches sans qu’il ne la notice.
Les flammes rédemptrices luisaient dans ses yeux : Alpha s'y engouffra.

*Perdus : êtres vivants dont la mémoire a été totalement effacée, devenus particulièrement agressifs.

Texte 3 : La fin de l’holocauste


Il était à l’avant d’une carriole, au milieu de nulle part. Le cheval broutait la maigre végétation disponible en bord de route, la bride sur le cou. Les tremblements de l’animal, visiblement à bout, montraient qu’ils cheminaient depuis un bon moment déjà. Il remercia le ciel que l’autre ne l’ait pas poussé au-delà de ses limites. Seul dans ce désert, il n’aurait pas donné cher de sa peau.
Quelques miettes sur le banc à ses côtés lui firent redouter de n’avoir aucune victuailles à disposition. Mais l’autre devait bien se sustenter aussi. Il n’aurait pas entreprit un tel voyage sans un minimum de précautions. Il fut donc soulagé, en constatant lors d’une brève fouille à l’arrière, qu’en dehors d’un arsenal impressionnant et de quelques morceaux de papier, il y avait tout de même un pain un peu rassit, quelques lamelles de viande fumée et des fruits secs. En revanche, l’eau pourrait être un problème. L’outre à son côté était bien plate et légère.
Il ne se souvenait pas être monté dans la charrette. Se grattant vigoureusement le menton, il estima à la longueur de sa barbe qu’au moins trois jours s’étaient écoulés depuis sa dernière victoire sur le Démon. Et il ne put deviner sa localisation qu’à sa connaissance de la géographie locale ; exercice plutôt aisé sachant qu’il n’y avait qu’une route pour traverser cette étendue désolée. Il n’osait imaginer ce qui avait pu se produire pendant un tel laps de temps.
Il examina les documents, froissés et tâchés de sang. Il s’agissait de bouts de missives relatant une série de catastrophes. Il avait dû les arracher à des coursiers, probablement par la force. Elles parlaient d’holocauste, mais n’avançaient aucune cause possible pour les évènements tous plus improbables les uns que les autres.
Pour lui, cela ne faisait aucun doute. Il était au cœur du problème. Rien ne se déroulait comme prévu. Si seulement il parvenait à se souvenir. Mais rien n’y faisait. Quand l’autre prenait le dessus, ce n’était pas seulement physique. Son esprit entier basculait dans une inconscience bienheureuse. Du reste, ce n’était pas plus mal, car il n’aurait sûrement pas supporté d’assister en direct à de telles atrocités.
Il rejeta les preuves de ses forfaits et expira profondément, tout en se massant les tempes. Il était épuisé, mais devait absolument rester éveillé. Dans la doublure de sa ceinture, il trouva quelques herbes à l’action stimulante. N’ayant aucun moyen de s’en faire une décoction, il se contenta de les mâcher. Puis, résigné, il guida le cheval à pied vers les sillons de poussière que leur passage initial avait laissé sur la route. Qui sait ? S’il défaillait une fois de plus, il n’aurait peut-être aucune victime à portée de main cette fois-ci. Il gardait l’espoir incertain de trouver une solution à son problème.
Mais la mélopée recommença quelques minutes plus tard, et déjà il somnolait.

Il reprit conscience devant une scène cauchemardesque. Dans la nuit, il reconnu l’oasis uniquement aux montagnes environnantes. La destination initiale avait finalement bien été atteinte. L’odeur de chair calcinée était omniprésente. Des morceaux de corps carbonisés gisaient à seulement quelques mètres de lui. La Bête avait encore fait son œuvre. Les carnages étaient de plus en plus violents. Elle prenait de l’assurance. Bientôt, elle prendrait intégralement possession de lui et l’individu Alpha qu’il était disparaîtrait à jamais.
Finalement, empli de dégoût envers ce qu’il était devenu, il prit la décision de débarrasser ce monde du Démon, même s’il n’y avait aucun moyen de le faire sans que lui aussi n'y laisse la vie. Peu importait à vrai dire. De toutes façons, il n’existerait plus. Cléroz l’avait bien trompé. Il ne profiterait jamais de ses pouvoirs nouvellement acquis. Et puis, de quoi pourrait-il donc jouir avec la destruction systématique de tout ce à quoi il aspirait ?
Il fallait absolument qu’il profite de cet instant de lucidité. L’occasion ne se représenterait peut-être jamais. Son temps était compté. Dans son subconscient, il entendait déjà le murmure des incantations du prêtre essayant de reprendre le contrôle.
Il s’approcha rapidement du brasier hurlant et crépitant qu’était devenu le verger. La chaleur était de plus en plus insoutenable. Ses sourcils, devenus broussailleux avec le début de la métamorphose, commençaient à se racornir. Il toussait à s’arracher les poumons tant les fumées qu’il respirait étaient âcres.
Il fit une brève pause devant le mur de flammes, contemplant une dernière fois ses options. Mais la raison aidant, il réalisa qu’il ne pouvait se permettre la moindre hésitation. Les flammes rédemptrices luisaient dans ses yeux : Alpha s'y engouffra.

Texte 4 :

Alpha se retourna et contempla le chemin sur lequel les ossements sombres de ses derniers ennemis étaient dispersés et tombaient en poussière. Le vent qui balayait cette région hors des Mondes, charriant cette odeur de mercure à laquelle on ne s'habituait jamais, aurait tôt fait de les faire disparaître et des les renvoyer au néant duquel ils n'auraient jamais dû sortir…

Plus que cette sente, le guerrier regardait toutes les péripéties qui l'avaient mené jusqu'à ce lieu, jusqu'à cet instant précis. Etait-ce une série de coïncidences ou une Destinée écrite à l'avance ? Peu importait à présent. Il était là et savait que telle était sa place. Alpha sortit son épée de son fourreau et examina le fil de la lame par réflexe. Tranchant, comme au sortir de la forge, nullement émoussé par les derniers combats. Une arme qui l'avait servi fidèlement, même lorsqu'il s'était enfoncé sur les chemins de la corruption. Une arme, noire d'avoir bu autant de sang, qui avait perdu son éclat en même temps que son porteur, et qui aujourd'hui se repentait avec lui…

Devant le bretteur, une colline se profilait, et derrière elle, le néant, des ténèbres plus profondes encore que celle de son épée. La dernière étape à gravir ? Où était donc l'Azur Flamboyant ? Alpha fit quelques pas et se retrouva soudain projeté au sol. Un tremblement de terre secoua tout le paysage. La colline se fissura dans un bruit assourdissant et l'horizon se disloqua et se teinta brusquement d'un bleu profond, agité de soubresauts. L'Azur Flamboyant se levait devant lui, à n'en point douter. La créature honnie s'extirpa lentement de son carcan de pierre et se dressa sur ses jambes colossales. Ses mains comme des battoirs époussetèrent les rochers accrochés à son tartan et à ses cheveux. Ses yeux s'ouvrirent et apparurent comme deux puits de flammes céruléennes dans ce bleu cobalt. Ils se pointèrent immédiatement vers l'homme, fournaises dans lesquelles un trait noir figurait les iris.
Mécaniquement, Alpha se mit en posture défensive, un pied en arrière, ancré dans le sol et examina celui qu'il devait abattre. Jamais aucun humain n'avait affronté un tel ennemi, et, quel que soit le résultat de la bataille qu'il s'apprêtait à livrer, aucun autre après lui ne le ferait. Soit il périssait, et l'Azur se répandait sur les Mondes, soit il triomphait et le monstre et ses servants disparaissaient. Mais comment venir à bout d'une telle créature ? Lui entailler les tendons pour le faire chuter ? Son épée pouvait-elle seulement les atteindre, les trancher ? Pourrait-elle s'enfoncer dans cette peau à l'apparence du cuir ?

De dessous son pourpoint noir, Alpha sortir le Pendentif Rouge, l'artefact retrouvé par ses soins et qui devait empoisonner l'Azur. Les explications des sorciers avaient été confuses pour lui, mais cette minuscule pierre était censée vaincre le monstre. Elle était son exacte opposée : inanimée et rouge, glacée et minuscule, morte et sans ambition… Elle était le complémentaire de l'Azur et son fléau, la part de l'esprit de la créature qui, en jaillissant hors de sa tête autrefois, avait créé sa folie destructrice.

Le guerrier leva le Pendentif au-dessus de sa tête et sentit le sol se désagréger sous ses pieds. Le monde du géant disparaissait et laissait les deux duellistes face à face. L'Azur leva la main pour abattre d'un geste l'insecte qui osait s'approcher de lui. Alpha s'éleva en vitesse devant la figure lisse et austère de son ennemi. Ainsi était venu l'instant de sa rédemption, de son sacrifice. Lui, le plus grand tueur des Mondes allait disparaître pour sauver ces terres qu'il avait tant ensanglantées.
Reconnaissant l'objet vermillon brandit par son ennemi, l'Azur Flamboyant retarda son geste un instant, l'instant fatidique. Les flammes rédemptrices luisaient dans ses yeux : Alpha s'y engouffra.

Texte 5 :

Les météorites s'abattaient de plus en plus nombreuses, en une pluie incessante. La Terre mourait, le peuple des Amazones avec elle.
A quelques pas devant, Kira s'écroula et trépassa à son tour. Son sang se déversait encore quand, de ses pieds nus, Alpha le foula. Kira, la fidèle... Les pointes acérées des lances dans son dos brisèrent son envie de lui rendre hommage et l'enjoignirent à poursuivre. A poursuivre et achever sa dernière bataille. A l'horizon, les flammes s'élevaient et mordaient le ciel avec avidité.
Une détonation retentit. L'ensemble de la procession se retourna : un trait scintillant traversait la nuit. Un fragment d'étoile plus gros. Tous sursautèrent quand, au prix d'une chute fulgurante, la pierre frappa le sol. Un grondement résonna, s'amplifia ; la Terre trembla. Les ondes se propagèrent et un vent fouetta le cortège. Uhlans (note 1) et Mages s'immobilisèrent. L'effroi se lisait sur leurs visages. Les Amazones, elles, le destin scellé, demeuraient de marbre.
En tête, Luyard se dressa sur ses étriers. Il devait une fois encore rasséréner ses troupes. Sa voix puissante tonna pour l'arrière garde ainsi que le convoi :
« Hâtons-nous ! Pas de sépulcre pour les Amazones. La Terre sera leur tombeau ou les Flammes leur affranchissement. Qu'elles choisissent ! »
Luyard se tourna alors vers son second et lui souffla :
« Pleutres de thaumaturges... Heureux que cette Alliance s'achève bientôt. »
Les yeux rivés sur le feu sacré, Alpha se remémora les événements l'ayant précipitée sur ce chemin sinueux. La Bataille des Trois s'était avérée déterminante pour la suite du conflit ; son peuple – elle-même –, gonflé par l'orgueil, avait succombé, en parti décimé par les troupes de l'Alliance. Comment Alpha aurait-elle pu imaginer cela envisageable ? Uhlans et Mages ensemble, glaives et grimoires dressés contre le joug des Amazones.
Alpha, pensive, s'était arrêtée. Un coup derrière le genou la fit plier.
« Avance, femme de tous les malheurs, ou je te laisse crever la gueule ouverte ici. Pourriture...
- Cesse, soldat. Elle sera jugée par ses dieux. L'heure n'est plus à la guerre. »
Luyard avait posté son destrier face à son homme.
« Rouons-la jusqu'à l'agonie, Luyard. Elle ne mérite que ça !
- Rosse-la encore et c'est toi que j'expédie entre les Deux Arches. »
Sachant avoir été entendu, Luyard tira sur ses rênes et galopa pour rejoindre l'avant du convoi. Au loin se profilait le contour des Deux Arches.
Dès cet instant, les Mages se positionnèrent aux avant-postes en feuilletant inlassablement leurs écrits. La pointe de flèche qu'ils dessinaient tendait vers leur cible magique, deux colosses se faisant face. En leur centre, une flamme immatérielle brûlait. Elle dansait, bleutée à sa base, en dégradé vers l'orangé en son centre pour exploser de flammèches jaunes et rouges à hauteur d'yeux de colosses. Les Deux Arches se dressaient, imperturbables. La fin du chemin. Le début espéré d'une nouvelle ère.
Tandis que les Mages psalmodiaient, les Uhlans rassemblèrent la quinzaine d'Amazones rescapées. Elles étaient assises, ne pouvant défaire leur regard des Arches. A travers les flammes, elles apercevaient parfois un scintillement, comme une lueur d'espoir.
Ashia, la plus jeune, se dressa soudain et s'enfuit en coupant les rangs des Mages. Elle n'eut le temps de dévaler la colline : cinq flèches la transpercèrent.
Son arc baissé, Luyard contempla les Amazones :
« Que celles qui choisissent la voie de cette sotte se manifestent à l'instant. Le temps s'égraine, notre Terre meurt. Cessons de la défier. »
Comme pour appuyer ses dires, une large crevasse s'ouvrit dans la plaine en contrebas, engloutissant arbres et rochers. Les Mages susurraient entre eux. Les Uhlans tremblaient dans leur coque de métal.
Finalement, Luyard leva bien haut sa main : le signal salvateur.
Sans ménagement, les Amazones furent relevées et poussées vers les Deux Arches. Elles ne criaient pas. Derrière le mur enflammé, elles disparaissaient, simplement. Alpha vit périr son peuple, se retrouva seule. Elle jeta un dernier regard aux Mages, aux Uhlans, à Luyard :
« Je suis désolée. »
Les flammes rédemptrices luisaient dans ses yeux : Alpha s'y engouffra.

Note 1 :
Historiquement parlant, cavalier mercenaire des armées de Pologne, de Prusse et d'Allemagne

Texte 6 : La Révolte des Sosies


Alpha pensa au néant, façonna dans son esprit une boule de vide. La lança sur Tarkonius le mage. Il avait si longtemps rêvé de le retrouver et de le torturer à mort pour le punir de tout ce que lui et ses semblables avaient commis d’atrocités. Sans compter celles qu’il l’avait obligé à perpétrer… Son propre cas ne lui semblait plus qu’un élément anecdotique dans une fresque horrible aux proportions démesurées. Mais rien ne comblerait la mort d’Omega, sa douce et si belle Omega. Rien n’effacerait les souffrances subies depuis toujours, et le regard de mépris ou d’effroi que les gens portaient sur lui et sur tous ceux qui étaient nés dans les cuves des sorciers maudits. L’exécution du bourreau pourrait seulement mettre un terme à des exactions atroces. Pas réparer ce qui avait été saccagé. Car ils le tenaient, enfin !
Tarkonius psalmodiait une incantation, quand la bille invisible, après avoir aspiré goulûment son bouclier magique, le frappa au milieu du front. Ses yeux se révulsèrent. Dans une tentative désespérée, il articula les derniers mots de pouvoir, tandis que sa peau, son crâne se dissolvaient dans le néant.
L’air se déchira au-dessus de leurs têtes. Le ciel s’ouvrit. Une tornade se déchaîna, manquant les emporter tous.
Alpha n’eut pas le temps de se ressaisir, tout juste aperçut-il le torse du sorcier à moitié dévoré par le vide, avant qu’une masse énorme jaillie de la faille ne s’interpose.
Un dragon. Un dragon comme il n’en avait jamais imaginé, même dans ses pires cauchemars. Son cri strident et le claquement de ses ailes immenses masquèrent tout l’horizon.
Thêta, Epsilon et Kappa reculèrent en rampant. Ils devaient bander toute leur volonté pour ne pas déguerpir en hurlant de terreur.
Alpha serra le poing. Que faire ? Ils avaient vaincu le dernier des sorciers, mais voilà que celui-ci avait lâché sur le monde un monstre mythologique. Pire, la faille pouvait en laisser entrer d’autres…
Il regarda ses compagnons. Ses frères. Dans leurs visages si semblables au sien, il lut le même désespoir. Échouer si près du but, c’était trop bête. Mais ils avaient consumé leurs forces dans la prise de la Citadelle et leurs combats contre les autres mages. Lui-même tremblait d’épuisement. Il ne contrôlait presque plus la bille de vide qu’il avait créée. S’il ne réussissait pas à la révoquer, alors dragons et faille seraient le cadet de leurs soucis, parce que le néant avalerait tout. C’était l’arme ultime, qui avait failli jadis provoquer la fin du monde, le vieux Fezalle avait assez insisté là-dessus.
Le monstre s’envola et le déplacement d’air plaqua les survivants au sol.
Soudain, Alpha eut une idée. Il se concentra sur la bille de vide, qui désormais évoquait un ballon, invisible mais dont tous sentaient l’attraction dévorante. Ce dernier s’enfonçait au milieu du cratère qu’il créait, lequel grandissait à vue d’œil. Le néant avait commencé à dévorer le monde. Il puisa une dernière fois en lui, grappillant des forces où il ne croyait plus en posséder.
La boule s’éleva dans les airs. Le dragon revenait vers eux à toute vitesse.
Grâce à leur lien mental, ses sosies avaient compris la manœuvre. Ils se regroupèrent derrière lui, lui prêtèrent le peu d’énergie et de volonté qui leur restait.
Alpha projeta la sphère mortelle droit sur la créature qui fondait sur eux. Le monstre cracha son feu. Le vide aspira les flammes vertes comme un courant d’air éteint une bougie.
Alors le dragon s’immobilisa. Ses deux globes jaunes se fixèrent sur Alpha.
Il ouvrit grand sa gueule et goba l’arme ultime.
Et rien ne se passa.
Il se posa devant les quatre humains pantelants, sonnés. Son esprit les atteignit, douche fraîche et apaisante.
— Ne craignez rien. Je suis le Gardien des Passages. Celui-ci disparaîtra bientôt. Mais vous méritez une récompense. Que diriez-vous d’un petit voyage ? Approchez, n’ayez pas peur.
Son univers mental si étrange était néanmoins doux et franc, peuplé de merveilles. Ils s’avancèrent.
Alpha pourtant restait paniqué à l’idée de ce qu’il avait failli commettre, si le dragon n’avait pu maîtriser le vide. Ce dernier l’apaisa d’une pensée.
Les flammes rédemptrices luisaient dans ses yeux : Alpha s’y engouffra.

Texte 7 :

L’orée de la forêt vibrait des incantations insistantes de Bulbandine. Quel que fut le ton qu’elle adoptait, le contenu de la marmite restait de glaire. Elle avait beau user de ses charmes naturels –et ils étaient nombreux, du galbe alléchant du mollet glabre au détour du coude lisse,– rien n’y faisait. La potion refusait de prendre.
Alpha sut qu’il devait briser sa contemplation dévouée.
« Puissiez-vous entendre mes conseils, belle elfe, et touiller les ingrédients pour leur donner harmonie ? suggéra-t-il.
- Rognure de marcassin ! pesta l’elfe, tordant sa bouche en un rictus méprisant. La magie irradie de mon être, je ne vais point me laisser dicter ma conduite par un enchanteur mal appris !
- Soit ! Eh bien, ruinez ma quête laborieuse, chère créature sylvestre. Sortez vos grands airs, bafouillez vos vilenies, et considérez que votre Royaume de résine poisse et de fientes d’épêches est voué à la déréliction de ce monde ! »
L’elfe adopta une moue réfléchie à l’aide de ses sourcils.
« Nenni, Sage Alpha. Ne prenez pas ombrage de ma verve trop vive, et sauvez mon Peuple.
- Oui da, gente damoiselle, princesse des canopées caduques et persistantes. Ainsi je vais user de mon honorable louche pour touiller ce fatras frigide. »
L’elfe se renfrogna ; son teint prit une teinte de carne faisandée.
« Vous ne pensiez tout de même pas que je parlais de vous, Bulbandine ? l’aiguillonna Alpha avec une candeur feinte. Cette potion est dure comme une souche. L’on pouvait espérer changer le destin d’une mouche avec ! 
- Misérable vermisseau de latrines, vous méritez… »
Mais Alpha ne saurait jamais ce qu’il méritait, car à cet instant une ombre de mauvais augure s’abattit sur eux. L’elfe frappa une pierre sous sa semelle en guise de mécontentement.
« Dragon de caverne à chauves-souris, je t’avais chargé de veiller sur le trésor des miens ! Maudite bête écailleuse, tu ne ferais même pas un bon parchemin ! Va rôtir en Terre des Ames errantes avec ce mouille-farine d’Alpha ! A vous deux, vous devriez trouver de quoi rassembler une cervelle pour vous lamenter sur vos sorts aussi navrants que vos vies ! Hors de ma… »
Alpha eut une grimace de déception. Il aurait bien voulu que la belle les invective encore un peu avant de se faire carboniser d’un jet. Malgré ses incessants babillages virulents, elle était plutôt agréable à regarder, et elle faisait une compagne formidable lorsqu’il fallait trouver pitance. Un seul chant de sa part, et le gibier accourait, avant d’essuyer une pluie de ses meilleures flèches. Par contre, les récriminations qui s’ensuivaient étaient pénibles pour ses oreilles. Mais le ventre bien tendu, il pouvait endurer n’importe quoi.
Alpha échangea un regard avec le dragon. Celui-ci ne lui jeta pas un œil torve comme l’on pouvait s’y attendre, mais esquissa une révérence lourde. Si ce que les légendes racontaient était vrai, la fortune s’offrait enfin à lui, telle une bergère canaille un soir de ripailles.
Il n’avait qu’à rendre son salut à la créature pour s’en assurer. Deux voies se présentaient. Soit il rejoignait sa compagne au fief des braises, soit il accédait aux Trésors du Gardien. S’il avait survécu aux avances des vouivres, à la morsure de Greta la Naine, aux Lycanthropes de Nuinuit et à la stupidité des Ogres de Crocaillasse, il pouvait bien tenter sa chance.
Et puis s’il mourait, qu’aurait-il à y perdre ? Ne disait-on pas que le feu purifiait l’âme ? Et celui du dragon n’était pas n’importe quel feu. Il pouvait aussi bien lui rendre sa jeunesse primesautière que lui calciner les os. Sa bonne étoile l’avait guidé dans toutes ces épreuves, pourquoi en serait-il autrement dès lors ?
Alpha rendit son salut au dragon avec une courbette antique. Aussitôt, la gueule du dragon s’ouvrit sur des rangées de crocs parfaitement acérés. La grosse langue pâle se contracta, tressauta pour aller puiser le feu au fond de sa gorge. Le dragon souffla son haleine ardente avec lenteur. Aussitôt, l’orée du bois s’embrasa.
Les flammes rédemptrices luisaient dans ses yeux : Alpha s'y engouffra.

!!!!!!!!UP!!!!!!!!!!